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GILLES DUCEPPE ET LE BLOC QUÉBÉCOIS : LA TROMPEUSE NOSTALGIE

Je dois dire en partant que j’ai un certain faible pour Gilles. C’est un gars tellement intelligent, un brillant parmi les brillants. Je l’ai côtoyé à l’époque du CAP Saint-Jacques et de l’effervescence populaire et syndicale. Plus tard cependant, il m’avait déçu en se ralliant aux groupes ML. Quand il en est sorti, il devenu un organisateur hors-pair à la CSN. C’est ce Gilles-là que j’ai appris à respecter.

Au tournant des années 1990 cependant, Gilles s’est fait embrigadé par Lucien Bouchard, comme beaucoup de personnalités de la CSN, à commencer par le président Gérald Larose. Ce tournant était-il nécessaire ? Il y avait l’idée d’une grande coalition pour la souveraineté. En même temps, il fallait être naïf pour penser que cela allait fonctionner avec le roi Lulu. Mais c’est ainsi que cela s’est passé. Malheureusement, cette mauvaise option a ralenti les mouvements populaires et les syndicats dont plusieurs ont alors intégré l’idée farfelue du « déficit zéro », qui continue jusqu’à aujourd’hui sous un autre nom (l’ « austérité »). En détachant l’utopie de l’émancipation nationale de celle de l’émancipation sociale, Lulu et ses successeurs nous ont trompés.

Cependant, au début, le Bloc était vue comme l’équipe d’appoint qui allait aider la transition vers l’indépendance. Après que ce rêve se soit dissipé, il est resté l’idée de « défendre le Québec » à Ottawa. Ce n’était pas nécessairement une mauvaise idée, d’autant plus qu’à l’époque, les élites canadiennes avaient peur de l’indépendantisme québécois. Celles-ci savaient bien que leur victoire trichée au référendum de 1995 restait fragile et que tout pouvait basculer à nouveau. Dans ce contexte, il est vrai que le Bloc a pu utiliser cette pression pour empêcher des politiques trop agressives à Ottawa, sans être cependant capable de bloquer le bulldozer néolibéral qui a commencé sous le Parti Libéral et qui s’est accéléré sous Harper. C’est là que Gilles a encore démontré son sens tactique en utilisant l’interminable saga des « affaires » et des scandales qui traversaient (et traversent encore) les deux grands partis et donc de maintenir le vote bloquiste.

Pour autant, l’habileté tactique ne peut pas se substituer éternellement à l’absence de stratégie. La famille PQ-Bloc n’a cessé de s’effilocher, de s’enfarger, de se diviser et de se contredire. « Ni de droite ni de gauche » mais en réalité de droite avec les péquistes « lucides », incapables de se détacher de l’expérience de « gouvernance » qui signifiait l’alignement progressif sur les politiques néolibérales, tenté par les dérives pseudo identitaires, le PQ, de même que l’équipe d’appui du Bloc, a perdu son âme, sa base militante et son imagination.

Dans ce sens, la fameuse vague orange de 2011 n’était pas vraiment une surprise, même si le bon Jack a étonné tout le monde. Le fruit était mûr.

Aujourd’hui, le grand frère péquiste est en morceaux, avec un milliardaire de droite à sa tête. Qui peut le prendre au sérieux à part des nostalgiques de la belle époque de 1976 ? Quant au Bloc, c’est terminé.

Si certains camarades à gauche se disent satisfaits de cette agonie qui n’en finit plus, il faudrait faire attention. Michel David (Le Devoir) a raison de dire que le tandem PQ-Bloc était un rempart contre l’immense alliance de droite qui prend toute la place au Canada. Certes, même si le NPD avec sa forte députation québécoise restera sensible à la question québécoise, c’est une autre histoire. Car rester « sensible », à l’intérieur du cher Canada est une chose, représenter une menace pouvant mener à la brisure du pays est une autre chose. Ce que je veux dire par là est tout simplement que les élites canadiennes espèrent toutes que le déclin du nationalisme québécois puisse aboutir à sa disparition pure et simple quitte à conserver quelques éléments folkloriques et symboliques. Bref, l’agonie du PQ et du Bloc m’inquiète, car à court et moyen terme, elle laisse la voie à une hégémonie de droite fédéraliste néolibérale et néoconservatrice. La politique de la scie mécanique à Ottawa mais aussi à Québec, c’est ce qui est en marche. La bataille est et restera dure et longue…

Cependant, dans le cadre de la prochaine élection, ces préoccupations ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. La haine de Harper emporte toute autre considération et malgré ce qu’on en dit parfois, cette haine est logique et rationnelle. Sous Harper, le Québec est rendu à moins 10. À la limite il ne fait pratiquement plus partie de l’équation qui s’échafaude dans une nouvelle architecture politique et économique qui commence à Toronto et qui va jusqu’à Calgary. On comprend donc qu’il est légitime de vouloir éviter ce scénario catastrophique, quitte à voter pour n’importe qui d’autre.

Pour terminer, je serai content si Gilles regagne son siège lors de l’élection qui s’en vient à grand pas. D’autant plus que la candidate du NPD dans ce comté est une bonne libérale relookée comme plusieurs autres députés du NPD d’ailleurs. Également, cela ferait chaud au cœur si le candidat du Bloc dans Lévis, Steve Gagné, réussissait à vaincre le triste clown et ministre conservateur Blaney. Cela mettrait de la pression pour empêcher le démantèlement du Chantier naval de Lauzon, ce que Harper fera sans doute, peut-être même avec l’appui de Mulcair qui n’a rien fait sur ce dossier, de peur de mécontenter ses partisans de Vancouver et d’Halifax.

Rêvons un peu et imaginons un gouvernement du NPQ dépendant de l’appui de quelques députés du Bloc. Qui sait si cette combinaison ne serait pas utile du point de vue des mouvements populaires ?!?

Pour autant, il nous faudra continuer notre longue marche. On le fait depuis déjà longtemps …


Pierre Beaudet
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