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LA FACE CACHÉE DE LA POLITIQUE DE CHARME

Depuis le départ de Stephen Harper, l’atmosphère est devenue un peu plus respirable au Canada. Les menaces contre les droits et libertés et contre les mouvements populaires ont laissé place à une certaine volonté de dialogue. D’où la visite de Justin Trudeau au Congrès du travail du Canada par exemple. Quand on pense que les Conservateurs envisageaient sérieusement de déclencher une guerre sans merci aux syndicats (en abolissant la Formule Rand par exemple), c’est quand même un progrès. Il se pourrait que Justin nous surprenne, notamment avec les autochtones et sur d’autres dossiers controversés. Après tout, les stratèges du Parti Libéral ont entendu le message : une forte majorité des gens ont dit basta au néoconservatisme.

Il n’en reste pas moins qu’il faut éviter la fausse naïveté dont font preuve la plupart des médias, comme si cette élection marquait le début d’un temps nouveau. Il y a plusieurs choses qui doivent être remises sur la table pour éviter de s’illusionner.

En premier lieu, le Parti Libéral du Canada (PLC) ne vient pas de la planète Mars. Il est le parti des élites canadiennes, notamment celles qui se sont identifiées dans l’après-guerre à la gestion keynésienne du capitalisme. L’expansion des programmes sociaux et l’interventionnisme fédéral via divers projets étaient pensés pour consolider l’accumulation capitaliste, ce qui a été le cas jusque dans les années 1970. Il permettait aussi, jusqu’à un certain point, de discipliner la conflictualité sociale et le militantisme à la base qui avaient radicalisé les mouvements populaires avant la guerre. Au rebond des années 1970 toutefois, la « croissance » économique (lire « capitaliste) s’est ralentie, ce qui s’est fait durement sentir aux États-Unis, puis, à rebours, au Canada où l’intégration continentale avait refaçonné l’économie canadienne. Dans ce contexte, le PLC mené alors par Trudeau père s’est mis à mettre en œuvre les politiques exigées par les élites économiques : diminution des dépenses sociales, lois draconiennes pour réduire les salaires, restructuration de l’État, etc. Ce faisant, c’est le PLC qui a mis la table pour le virage néolibéral entrepris dans les années 1980 par le conservateur Brian Mulroney.

Quelques années plus tard en reprenant le pouvoir en 1993, le PLC alors dirigé par Jean Chrétien et Paul Martin sont allés beaucoup plus loin dans ce projet. Ils ont endossé l’Accord de libre-échange des Amériques (ALÉNA), qu’ils avaient pourtant dénoncé alors qu’ils étaient dans l’opposition. Ce faisant, l’intégration dans le dispositif économique, politique et militaire américain, s’est accentué. On se souviendra également, que c’est le gouvernement du PLC qui a massivement coupé dans les programmes sociaux, notamment dans l’assurance-chômage. Martin pouvait se vanter d’avoir réduit le déficit, mais en réalité, ce sont les couches moyennes et populaires qui ont écopé.

On peut dire que tout cela est du passé. Oui c’est vrai, l’histoire ne se répète jamais, du moins pas tout à fait. Que fera l’actuel gouvernement du PLC face à ce qui s’annonce comme de sérieuses turbulences dans l’économie canadienne, américaine et même mondiale ? Il est loin d’être sûr que les « recettes » keynésiennes ne soient suffisantes pour régler le chômage et la précarité et relancer une économie qui a été restructurée par les élites autour de la finance et des ressources. Déjà, les porte-paroles du 1 % mettent en garde Trudeau de ne pas aller trop loin. Lisez le Globe and Mail, vous verrez ce que cela veut dire !

Quant à la politique extérieure, on verra la marge de manœuvre que le gouvernement aura face aux grands enjeux, dont la tentative des États-Unis de remettre l’empire en marche dans les régions contestées, comme en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. Il n’en a pas été question réellement lors de la campagne électorale, si ce n’est que par des formules plates et des clichés.

Cette semaine, Trudeau s’est empressé de dénoncer la mesure de l’Union européenne exigeant d’Israël que les produits fabriqués dans les territoires palestiniens occupés soient identifiés. C’est une mesure très douce pour faire pression, et en plus, cela correspond au droit international puisqu’une puissance occupante n’a le droit, selon les conventions de Genève, de déplacer des populations et d’occuper le territoire de manière permanente. Mais selon Trudeau, on n’a pas le droit de s’opposer à Israël. On peut dire, comme Stéphane Dion l’a dit, qu’on est contre l’expansion de la colonisation. Mais on n’a pas le droit de rien faire contre cela. Cherchez l’erreur.

Trudeau dénonce en fait l’idée d’une campagne internationale pour imposer des sanctions, comme cela avait été fait à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, ce qui avait joué un rôle non négligeable pour faciliter le rétablissement de la paix et la démocratie dans cette région de l’Afrique.

Il faut se souvenir qu’à l’époque, les gouvernements, tant ceux du PLC que ceux des conservateurs, étaient opposés à ces sanctions contre l’Afrique du Sud. Ils estimaient nécessaire de « dialoguer » avec le régime de l’apartheid et ignoraient superbement les mouvements de libération et de ses chefs, notamment Nelson Mandela. Pierre Trudeau, le grand défenseur de la démocratie, laissait des entreprises canadiennes comme Space Research, de vendre des armements sophistiqués aux tortionnaires sud-africains. Beaucoup plus tard alors que l’apartheid était en phase terminale, Mulroney et son compère Joe Clark avaient imposé quelques sanctions symboliques que des pays comme la Suède et les Pays-Bas trouvaient bien timides.

Business is business !

Alors pour le moment dans ce dossier, on peut dire que Trudeau n’a pas passé le test.


Pierre Beaudet
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