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LA MONDIALISATION DE L’INDIFFÉRENCE

Depuis la mort d’Aylan, l’opinion est saisie, comme elle ne l’a pas été tout au long des terribles années qui ont amené la Syrie, l’Irak et plusieurs autres pays de la région dans l’enfer. La mauvaise nouvelle est que cette crise va continuer encore longtemps, du moins si on n’assiste pas à un virage spectaculaire des forces en place. Selon un dernier rapport de l’ONU, Gaza a encore jusqu’à 2020 avant d’atteindre le point de non-retour et des dizaines de milliers de personnes seront forcées de chercher un exil improbable. Au Liban, personne ne sait plus ce qui va arriver dans un pays minuscule où la majorité des gens sont des réfugiés sans emploi ni revenu. Pour la Syrie et l’Irak, inutile d’insister. Il faudrait ajouter la Libye et le Yémen, profondément enfoncés dans des crises d’une ampleur sans précédent. Sans compter l’Égypte qui continue de sombrer sous le joug des militaires corrompus qui continuent de régner grâce à l’appui des États-Unis.

On parle de plus de 150 millions de personnes qui sont dans un trou noir, creusé pendant des années par des gouvernements pourris avec la bienveillante complicité des grandes puissances.

Au Canada, il est stupéfiant d’entendre le silence assourdissant des acteurs politiques sur cette catastrophe. Certes, comme cela est souvent le cas, Harper a l’avantage de dire les choses comme il les pense : les réfugiés et les gens qui souffrent, il s’en fout totalement. Pour autant, il ment effrontément en faisant passer l’État islamique comme le « responsable » de la crise actuelle. Selon tous les rapports de toutes les agences, le gouvernement de Hafez al Assad est responsable de plus de 80 % des tueries en Syrie. C’est la même chose en Irak où l’armée irakienne, dûment entrainée et financée par les États-Unis et le Canada, commet des atrocités sans nom. Auparavant en Libye et en Afghanistan, le Canada a participé à l’effondrement des États sous prétexte de la « lutte contre le terrorisme », en donnant le pouvoir et les ressources à des milices sans foi ni loi. En Turquie, cette puissance « montante » membre de l’OTAN, se permet de déclarer la guerre contre 20 % de la population (les Kurdes). Presque partout, le Canada appuie des « terroristes », mais ce ne sont pas ceux à qui on pense sous ce label.

L’ « opposition » à Harper ne dit rien de substantiel non plus. On s’entend qu’accueillir davantage de réfugiés est le seul impératif moral (que Harper, de gré ou de force, va probablement finir par admettre). Mais est-ce suffisant ? Les Libéraux avant Justin ont participé à la mise en place des dispositifs de destruction mis en place avant l’élection de Harper. Est-ce que Justin a dénoncé les infamies commises par l’OTAN et relayés aux larbins canadiens en Afghanistan par exemple ? Qu’est-ce qu’il a fait pour appuyer les mouvements démocratiques avant, pendant et depuis le printemps arabe ? Est-ce qu’il a pris au sérieux le coût énorme du conflit israélo-palestinien qui permet à un État d’agir comme un gendarme régional ?

Et que dire de notre ami Mulcair ? À part sa réputation d’être un infatigable ami d’Israël, qu’est-ce qu’il a proposé pour aider les gens là-bas ? Il ne peut pas être sérieux en portant seulement le débat sur le nombre de réfugiés que le Canada doit recevoir … « Come on », dirait mon fils Victor… Il y a un sérieux problème avec Mulcair au niveau de la politique étrangère. Sa porte-parole en la matière, Hélène Laverdière, a passé toute sa vie professionnelle dans le cadre d’une fonction qui est défendre la politique étrangère d’un État complice dans l’ordre impérialiste, quitte à faire semblant d’être le « good cop » de temps en temps. Le discours « nostalgique » et trompeur est de dire qu’avant Harper, la politique extérieure du Canada était progressiste, alors que dans les faits, le Canada « libéral » constituait, essentiellement, un dispositif du contrôle de l’empire américain.

En attendant, Mulcair, c’est pro-accords de libre-échange, pro-OTAN, pro-Israël, dénué de tout intérêt apparent face aux expériences social-démocrates en cours en Amérique latine : c’est consternant.

Il faut dire que ce désintérêt que j’oserais qualifier de coupable fait partie de la « game » électoralo-médiatique au Canada. La couverture des médias sur cette crise atteint des degrés de bassesse inégalée. Radio-Canada, traditionnellement un peu mieux que les autres, couvre les évènements avec une négligence qui frise la manipulation. L’Arabie saoudite, largement coupable du chaos actuel, n’est jamais mentionnée. On mélange Al Nosrah, Al-Qaida, l’État islamique, et quoi d’autres encore ! Les liens qui existent entre ces réseaux mafieux et les États-Unis et ses larbins ne sont même pas évoqués. Au bout de la ligne, on va pleurer avec tout le monde sur Aylan et les autres, ce qui, au lieu de créer de la solidarité, suscite la pitié qui s’inscrit bien dans les clichés archi usés contre les Arabes et les Musulmans, fourbes d’une part, victimes d’autre part. Et c’est ainsi que se solidifie le mur d’une indifférence hostile dans un monde qu’on dit mondialisé.


Pierre Beaudet
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