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LES LEÇONS DU FLQ

En 1966, j’étais au collège Brébeuf avec les fils des petits magouilleurs de l’époque. On se faisait dire qu’on était des pas-bons parce qu’on n’avait pas les mêmes souliers cirés et que nos papas étaient « seulement » des petits commerçants du nord de la ville. Ces futurs maîtres du Québec crachaient leur venin contre les Juifs, les Italiens et les Irlandais (pourtant catholiques), sans compter les témoins de Jéhovah et les méchants communissss, Ils étaient convaincus selon l’idéologie de pacotille de Duplessis et du Chanoine Groulx que tous ces « autres » étaient des sous-humains. En même temps, ils ne disaient jamais un mot sur la structure du pouvoir dominé par une poignée de capitalistes dont leurs papas étaient souvent les larbins. Le Québec était sous une chape de plomb dominé par un condominium érigé par des capitalistes canadiens et américains et la minable élite cléricalo-corporatiste. Le peuple était condamné à la misère, à la répression et à l’humiliation : « Speak white »

Les FLQ de l’époque était une galaxie de petits groupes plutôt qu’une organisation. Pour certains, c’étaient des Robins-des bois qui appuyaient les travailleurs en grève. Pour d’autres, c’étaient d’indécrottables amateurs qui n’avaient pas lu trois pages et demie de Frantz Fanon. On savait aussi que leur mode d’action était énormément déficient, d’où le fait d’utiliser des ados pour aller mettre des bombes n’importe où n’importe comment. Quelques intellectuels, notamment Jean-Marc Piotte et Gilles Bourque avaient osé dire qu’on ne faisait pas une révolution comme cela.

L’épopée du FLQ a commencé à s’essouffler à la fin des années 1960. On était des milliers de jeunes dans la rue. Les syndicats commençaient à se radicaliser. Une nouvelle génération de groupes populaires s’agitait dans tous les coins. Le début du mouvement féministe soulevait d’autres enjeux. À Montréal, un rassemblement progressiste était en train de se mettre en place autour du FRAP. Au fur et à mesure que ce mouvement de masse grandissait, l’étoile du FLQ palissait. Quelques derniers carrés de felquisme ont livré leur baroud d’honneur en 1970. Au-delà du Manifeste au langage résonnant, l’affaire a mal tourné. Après la mort du ministre Laporte et les arrestations de masse qui ont frappé des centaines de militants qui n’avaient rien à faire avec le FLQ, la coalition progressiste qui contestait les élections municipales a foiré. Cela a été un coup dur, comme l’a raconté Paul Cliche (voir son entrevue dans le numéro 13 des NCS).

Mais quelques mois plus tard, la crise d’octobre tombait à plat. Les mouvements populaires se réanimaient. Les luttes reprenaient de la vigueur, notamment en 1971 (grève de la Presse) et surtout en 1972 (grève du Front commun). Parmi les militants, c’en était fini avec le FLQ, d’autant plus que Charles Gagnon et Pierre Vallières disaient qu’il fallait passer à autre chose. Des milliers de personnes se sont alors investies dans la montée du PQ (jusqu’à l’élection de 1976), et bien d’autres dans l’organisation et l’éducation populaire. Des batailles ont été perdues, plusieurs ont été gagnées dans l’éducation, la santé, les droits des femmes, l’organisation du travail. La révolution tranquille n’était plus si tranquille.

Quant à moi, cette lutte continue, en même temps, le terrain a changé.

Aujourd’hui, le Québec reste emprisonné dans un système qui reproduit le pouvoir du 1%, la différence étant qu’il y a maintenant dans ce 1% un « Québec inc » assez costaud. Ce ne sont plus les élites ridicules de la grande noirceur, mais un corps bien ancré dans la mondialisation néolibérale et le dispositif du capitalisme nord-américain. Autour de ce 1%, une structure médiatique et intellectuelle distille les idées de résignation et d’individualisme possessif pour dire toujours et toujours : on n’a pas le droit de se révolter… Pour autant, ce pouvoir n’a aucune solution à proposer devant l’accumulation des crises. Acculé au mur, le 1% a encore bien des cordes à son arc en commençant par une panoplie de moyens liberticides. Il compte sur la « guerre sans fin » qui mène la planète à une glissade vers l’abîme. Les Harper et les Couillard de ce monde créent une atmosphère où la menace vient d’obscurs terroristes contre ce qu’ils appellent la « civilisation occidentale et leur « démocratie » de façade.

Entre-temps, les mouvements populaires ont accumulé depuis la Marche des femmes et le Sommet des Amériques de nouveaux « outils ». Ils ont créé de vastes coalitions qui ont entravé la « réingénierie » néolibérale, notamment lors de la grève étudiante de 2012 et du mouvement citoyen des Carrés rouges. Depuis l’automne 2014, des mobilisations sans nombre se sont mises en marche partout à travers le Québec. Québec Solidaire monte, lentement mais sûrement, non pas à la place des mouvements populaires, mais avec ces mouvements, comme une expression de ces mouvements.

Aujourd’hui, l’idée de créer une « avant-garde » armée passerait probablement comme une mauvaise joke pour la grande majorité des mouvements populaires. Sans illusions sur la nature du pouvoir, les militant-es ont acquis de la maturité. On le sait qu’il n’y a pas de raccourci, ni de substitut et que l’idée que la lutte devrait être menée par des groupes durs et purs est une piste sans issue.

Je dis que la très grande majorité des mouvements ne pense pas cela. Ce qui n’empêche pas des militant-es de réagir mal à une situation où le pouvoir réussit à s’accrocher. Ils et elles remplacent l’analyse du rapport de forces par le volontarisme et la colère. Le felquisme, dans son essence, est ainsi remplacé par un « black-bloc-isme » qui pense que la confrontation « symbolique » de petits groupes casqués et cagoulés va permettre à la lutte d’avancer plus vite. Certes, entre mettre des bombes et casser des vitrines, il y a de grosses différences qui font penser que les révoltés d’aujourd’hui sont plus astucieux que leurs ancêtres. Le résultat est quand même semblable en faisant des multitudes des spectateurs d’une lutte menée en leur nom. Par chance mais aussi par la détermination de milliers de personnes, c’est l’autre chemin qui est pris par les mouvements populaires. On continue…


Pierre Beaudet
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