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L’EXPLOSION SOCIALE DU PRINTEMPS 1972 : COMMENT C’EST ARRIVÉ ?

Avant la révolution tranquille, nos grand mères travaillaient pour des salaires de misère et devaient remercier le curé qui leur avait fait l’« honneur » de les embaucher. Nos pépés dans une fonction publique rabougrie devaient cacher la corruption systémique des voyous qui géraient la belle province pour l’intérêt d’une poignée de trusts canado-américains. Les travailleurs dans les mine, la construction, les forêts, les ouvriers et les ouvrières dans les manufactures, se tuaient à l’ouvrage dans des conditions moyenâgeuses.

Qu’est-ce qui fait bouger le Québec ?

C’est ce système pourri qui a craqué par la lutte, et cela, bien avant la révolution pas-si-tranquille, À Asbestos, à Murdochville, à Louiseville, à Valleyfield, nos ancêtres ont résisté, comme les braves travailleuses de Dupuis et Frères à Montréal. Et aussi, après la défaite de l’Union nationale, au lieu d’attendre la semaine des quatre jeudis d’un gouvernement (libéral) qui se disait moins réactionnaire, les multitudes se sont mis en mouvement. Rapidement, des mouvements massifs, comme l’arrêt de travail dans le domaine de la santé en 1966, marquent le pas. En 1968, les milliers de jeunes de ma génération sortent dans la rue. Des « petites » grèves aujourd’hui oubliées (Seven-Up), secouent l’inertie. Le féminisme fait une irruption fulgurante pour miner le capitalisme patriarcal. En 1970, l’épisode du FLQ impose une pause, tout en révélant la vénalité d’un État répressif prêt à emprisonner des tas de gens « coupables » d’avoir organisé des syndicats et des comités de citoyens. À peine quelques mois plus tard en 1971, le mouvement populaire reprend son élan avec des grèves massives à l’Université de Montréal et à l’UQAM, et surtout au journal La Presse. En parallèle, une initiative de gauche s’érige au niveau municipal avec le FRAP. Un peu partout, des comités d’action sont mis en place dans les entreprises et les quartiers. Une idée en apparence impensable sort de l’oubli : gagner ! Les partis traditionnels, à Québec comme à Ottawa, zigzaguent entre une répression qui fait de moins en moins peur et de fausses réformes, en consolidant et en développant de nouveaux outils coercitifs. Une véritable crise de gouvernance se développe pendant qu’une partie des élites qui ont encore un peu de cœur tentent leur coup avec la création du PQ. Bref, « ceux d’en haut » sont désemparés. Et c’est ainsi que la table est mise.

La confrontation

Au début de 1972, des dizaines de milliers de syndiqué-es de la fonction publique se concertent, se mobilisent, se préparent. Certains dirigeants syndicaux, dont Marcel Pepin et Michel Chartrand (CSN), ainsi que Yvon Charbonneau et Raymond Laliberté (CEQ), savent l’affrontement imminent et ils estiment que le rapport de forces change en faveur du mouvement. Mais c’est surtout à la base que cela se passe alors que des syndicats locaux et des mouvements de citoyens, n’attendant ni chefs ni mots d’ordres établis, dynamisent leurs mouvements et essaient, avec l’aide d’intellectuels déniaisés, de décortiquer ce système qui les confronte. Des jeunes profs comme Jean-Guy Loranger, Gilles Bourque, Céline Saint-Pierre et tant d’autres, sortent de leurs tours d’ivoire pour travailler à développer une perspective critique qui permet de penser que, « nous le monde ordinaire », c’est autre chose que des moutons qui attendent d’être égorgés. C’est cette formidable effervescence d’éducation populaire qui débouche sur la confrontation du printemps 1972.

La victoire

Au début, les syndicats ne font que revendiquer leurs droits. Comme d’habitude, l’État appuyé à 200% par les médias et les élites décident de brimer ces droits, ce qui force les syndicats à déclencher des actions dites « illégales ». Lorsque les trois présidents des centrales syndicales sont arrêtés et condamnées à la prison, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Rapidement, des dizaines de milliers de personnes, y compris dans le secteur privé, sortent spontanément. Personne n’a donné le « mot d’ordre » sinon tout le monde. On occupe des entreprises, des écoles et des hôpitaux. On force la porte des postes de radios. On bloque des routes. C’est un mouvement qui prend un envol extraordinaire durant quelques jours et qui force le déblocage. En effet, en coulisse, le gouvernement négocie pour accéder à certaines demandes clés des syndicats, dont le fameux $100 par semaine, qui apparaît alors comme la frontière à franchir pour se sortir de la pauvreté. Le règlement négocié ne répond pas à toutes les attentes, loin de là, mais symboliquement, c’est toute une victoire.

La lutte continue

Peu de temps après, les grèves se multiplient. Les syndicats sortent en grève « illégale » pour exiger l’indexation des salaires. Avec l’Italie, le Québec devient le champion des luttes dans le monde capitaliste. Et derrière ces grandes mobilisations se poursuit le travail de fourmi. Des syndicats ankylosés dans le « business unionism » sont remis à l’endroit par de nouvelles générations militantes. En 1973, les courageux travailleurs de United Aircraft, maintiennent leur grève dure malgré l’assaut des scabs. Les associations de quartier deviennent revendicatives et passent par-dessus leur rôle assistancialiste. Une vaste gauche « sociale », au centre de ces transformations, regarde la montée du PQ à la fois avec espoir et appréhension. L’espoir est quand même grand, car dans le système politique méprisant et méprisable qui existe, ce parti draine plusieurs des valeurs et revendications pour changer le Québec. Aussi, 1976 apparaît comme un énorme tremblement de terre. Bien que les chefs du PQ espèrent calmer le jeu et convaincre les élites canado-américaines qu’ils ne veulent pas « casser le système », le 1 % n’en croit pas un mot. Et pour cause. Car l’élection de 1976, ce n’est pas seulement René Lévesque, c’est le résultat d’un rapport de forces qui a changé dans notre société.

Ce qui est arrivé après, et bien cela, c’est une autre histoire !


Pierre Beaudet
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