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LES BARBARES

Philippe Couillard, l’ami de l’Arabie saoudite, a déclaré après le carnage de Ouagadougou de la semaine passée, qu’il fallait stopper et éradiquer les « barbares ». Pour lui, pour Trudeau, Obama et les autres, c’est simple, les barbares (Daech, Al-Qaida) sont responsables du chaos actuel.

Or que révèlent les faits ? Depuis un an, 18 800 personnes ont été tuées en Irak. 76 000 en Syrie. Plusieurs milliers en Afghanistan, au Yémen, en Palestine. Et encore, quelques centaines au Mali, en Libye, en Égypte, au Nigeria et ailleurs. Chacun de ces conflits a sa propre dynamique, ses lignes de fracture, ses protagonistes. Par contre, les tueries sont surtout le fait des gouvernements et de leurs protecteurs de l’OTAN ou de la Russie. Est-ce que cela excuse Daech ? Bien sûr que non. Mais est-ce qu’on n’essaie pas de tromper l’opinion en ce moment ?

Presque tous les observateurs sérieux soulignent que les tueries actuelles résultent de l’invasion américaine de l’Afghanistan et surtout de l’Irak en 2003 et du délirant projet de procéder à la « réingénierie » du monde sous la pax americana. Cette immense opération militairement et politiquement désastreuse a ouvert la porte à ce qui est venu par la suite. Des régimes répressifs s’en sont donnés â cœur joie, sous la protection illusoire des États-Unis : Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite. D’autres sont été mis à mal parce que Washington voulait les renverser (« regime change »), comme en Syrie, en Iran, en Libye. Des guerres civiles ont été transformées en conflits confessionnels et communautaires. Ici et là, de nouvelles dictatures ont remplacé les anciennes.

Entre-temps, les luttes démocratiques (le printemps arabe) ont été subverties, marginalisées et cassées, parce que les peuples ne remettaient pas seulement les dictatures à la Ben Ali et à la Moubarak, mais l’ensemble du dispositif impérialiste et capitaliste dans la région. Pour bloquer cette irruption populaire, les forces rétrogrades, armées et financées par les pétromonarchies, sont venus à la rescousse des factions islamistes qui avaient été au départ appuyées par les États-Unis et ses alliés subalternes jusqu’aux évènements de 2001.

Au-delà du périmètre arabe se trouve une autre zone de tempêtes dont on parle peu, le Sahel, où des pays comme le Mali, le Niger, le Tchad, le Nigeria et le Burkina sont soumis à des massacres quotidiens, la prédation, la traite des personnes et les exils meurtriers à travers la Méditerranée. Dans la plupart de ces contrées, 50-75% des jeunes sont non seulement sans emploi, mais totalement exclus. Les riches ressources minières et pétrolières sont accaparées par des entreprises multinationales appuyées par des régimes sans foi ni loi, comme celui de Blaise Compaoré, l’ex-président du Burkina, qui a mené son pays au désastre pendant plus de 20 ans. Paris le savait, Washington le savait, Ottawa le savait. Et qu’est-ce qu’on faisait ? On l’appuyait : Blaise était un dictateur, mais c’était « notre » dictateur. Il a été finalement renversé par un soulèvement populaire, sans appui ni encouragement.

En attendant, la « communauté internationale » (lire les États-Unis et leurs alliés-subalternes), tiennent surtout à s’assurer que leurs intérêts soient protégés, au lieu d’aider le Burkina à se reconstruire. C’est la même chose partout où les peuples ont renversé des régimes pourris, comme en Égypte et en Tunisie. On leur dit alors, « vous pouvez tout faire sauf changer l’essentiel ». La mal-gouvernance, la corruption, le vol des ressources, la dette odieuse, on ne peut pas changer cela parce que « c’est comme cela ».

Alors aujourd’hui, confrontés à des pays où on croupit dans la misère la plus abjecte et où tout le monde sait qui est responsable, les puissances sont émues de découvrir des « violences ». Les médias-poubelles et les médias tout court peuvent se concentrer sur les victimes, sans expliquer les causes, sans dire non plus que 99,9 % des gens affectés ne sont ni Européens, ni Canadiens. Et aussi on trouve un Couillard ou deux pour affirmer qu’il faut combattre les « barbares »…

La tempête ne fait que commencer …


Pierre Beaudet
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